Les cent jours de Joe Biden
Jean-Christophe Debar, Fondation FARM
A peine installé dans le bureau ovale, le 46ème président américain a pris une série de décrets - sur la gestion de la pandémie, l’immigration, le climat… - qui donne le la des grandes orientations de son mandat. Comme la plupart de ses prédécesseurs, Joe Biden veut faire de ses cent premiers jours à la Maison Blanche le symbole d’une rupture, censée conduire les Etats-Unis vers plus de prospérité et de justice sociale. Mais cet exercice conventionnel a aujourd’hui un sens particulier, tant le pays qu’il gouverne est divisé en deux camps qui ne semblent plus pouvoir s’accorder sur la définition du bien commun.
C’est Franklin Roosevelt qui évoqua le premier l’importance des « cent premiers jours », dans une allocution radiophonique en juillet 1933. L’Amérique était alors plongée dans la Grande Dépression. « Cette nation exige de l’action, et de l’action immédiate », avait déclaré le président dans son discours d’investiture. Joe Biden vit un moment rooseveltien. Il veut prouver qu’une forte intervention de l’Etat peut sortir les Etats-Unis de la crise profonde qu’ils traversent, à condition de la fonder sur un nouveau paradigme, centré sur une réponse collective au changement climatique. Selon lui, cette réponse n’est pas seulement impérative, pour éviter la catastrophe annoncée. Une économie plus verte, impulsée par la révolution technologique en cours, peut réindustrialiser le pays et créer un grand nombre d’emplois. L’enjeu de ce New Deal est aussi de dessiner un horizon, de ressouder une unité nationale aujourd’hui en miettes. Reste à voir si cet objectif peut être atteint sans de profondes réformes sociales et fiscales, hors de portée dans l’immédiat.
L’agriculture concernée
Les cent premiers jours de Joe Biden seront couronnés de succès s’il parvient à accélérer la vaccination contre la Covid et à faire voter par le Congrès ses deux premiers projets phares : un gigantesque plan de relance de l’économie, assorti d’un programme de rénovation des infrastructures (routes, canaux, réseaux 5G...). Le monde rural en attend beaucoup. Viendra ensuite l’élaboration d’une politique climatique ambitieuse, visant notamment à réduire à zéro les émissions agricoles nettes de gaz à effet en 2050, à grand renfort d’aides publiques. Mais si le stockage de carbone peut être une source de revenus pour les farmers, leur regard est d’abord tourné vers la Chine, qui absorbe un sixième des exportations agricoles. Sur ce point, pas de rupture de fond avec le bras-de-fer engagé par Donald Trump contre Pékin : peut-être un changement de méthode, consistant à traiter le conflit de manière multilatérale, avec notamment l’appui de l’Europe.
Franklin Roosevelt avait réussi à convaincre le Congrès d’adopter son train de réformes. Tout reste à faire pour Joe Biden. Les Démocrates sont certes majoritaires à la Chambre des représentants, ainsi qu’au Sénat, compte tenu de la voix de la vice-présidente, Kamala Harris. Mais les sénateurs républicains entendent bien user de leur pouvoir d’obstruction, qui leur permet de bloquer le processus législatif par une prise de parole sans interruption. En outre, le fragile équilibre parlementaire entre les deux partis pourrait être bouleversé par les élections de mi-mandat qui renouvelleront l’ensemble de la Chambre et un tiers du Sénat, en novembre 2022. Impossible donc de prévoir si le prochain farm bill, en 2023, sera l’occasion d’une nouvelle donne, telle qu’elle s’ébauche en Europe avec la réforme de la PAC, ou un simple changement cosmétique de la politique agricole américaine.