03/05/2018
Un enjeu majeur: financer les PME agroalimentaires

Un enjeu majeur: financer les PME agroalimentaires

Jean-Christophe Debar, directeur de la fondationn FARM

« Trop grandes pour la micro-finance et trop petites pour les banques et les fonds d’investissement traditionnels » : voilà ce qui caractérise les petites et moyennes entreprises (PME) du secteur agro-alimentaire en Afrique, selon un rapport récemment publié par le réseau hollandais AgriProFocus[1]. Privées des financements dont elles ont besoin, les PME stagnent ou échouent. C’est un gâchis, car elles contribuent fortement à la sécurité alimentaire, la réduction de la pauvreté et la création d’emplois et sont ainsi un atout majeur pour atteindre les objectifs de développement durable énoncés par les Nations unies en 2015.

Les plus gros fonds n’investissent pas directement dans les entreprises ; ils privilégient les banques et les institutions de micro-finance. Le rapport identifie 14 fonds spécialisés qui ont pris des participations de moins de 5 millions de dollars dans des PME agroalimentaires africaines (la plupart des transactions se situent en fait dans une fourchette de 100 000-250 000 dollars). Le capital total investi, 230 millions de dollars, est bien en-deçà des besoins.

Les enquêtes effectuées auprès de quinze PME agroalimentaires au Kenya, au Mali, en Tanzanie et en Zambie montrent les causes du déséquilibre existant entre l’offre et la demande de capital-risque. Beaucoup de fonds sont trop petits, compte tenu de leurs coûts opérationnels. Et ils se fixent des objectifs de rentabilité trop élevés, d’ailleurs rarement atteints. De leur côté, nombre de firmes familiales souffrent d’une mauvaise gouvernance et d’une gestion peu rigoureuse. Elles ne sont pas capables de répondre aux exigences des financeurs, surtout si celles-ci comprennent des critères sociaux et environnementaux imposés par les bailleurs.

Pour remédier à cette situation, estime AgriProFocus, il faudrait que les fonds adoptent des stratégies d’investissement graduelles et différenciées selon la taille de l’entreprise et son stade de développement. La demande des PME à l’égard du capital-risque est en effet très diverse. Elles doivent être accompagnées tout au long de leur trajectoire de croissance, avec des outils de financement adaptés et une assistance technique appropriée. Encore faut-il que les fonds eux-mêmes puissent emprunter à des conditions préférentielles, grâce notamment à des financements mixtes, privés et publics. Les bailleurs et les Etats ont un rôle crucial à jouer pour réduire le coût du risque supporté par les petits entrepreneurs et leur permettre de faire épanouir leurs projets.  


[1] Critical Capital for African Agrifood SMEs. A review of demand for and supply of risk capital for Agrifood SMEs in Sub-Sahara Africa. Based on field studies in Kenya, Tanzania, Zambia and Mali, AgriProFocus, Food and Business Knowledge Platform, ICCO Cooperation, Rabobank Foundation, 2018.

27/02/2018
Agriculture africaine : la longue route de Malabo

Agriculture africaine: la longue route de Malabo  

Jean-Christophe Debar, directeur de la fondation FARM

En juin 2014, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine (UA), réunis en Guinée équatoriale, adoptaient la « Déclaration de Malabo sur la croissance et la transformation accélérées de l’agriculture en Afrique pour une prospérité partagée et de meilleures conditions de vie ». Ils prenaient ainsi une série d’engagements, à l’horizon 2025, visant essentiellement à renforcer les investissements dans ce secteur, éliminer la faim, réduire la pauvreté de moitié et tripler le commerce intra-africain des produits et services agricoles. Pour « traduire rapidement ces engagements en résultats », la Déclaration invitait les autorités compétentes à « mener, tous les deux ans, à partir de 2017, un processus d’examen de l’Agriculture et faire rapport sur les progrès accomplis à la Conférence [de l’UA], en sa session ordinaire de janvier 2018 ».    

L’échéance a été respectée : le premier rapport bisannuel a été présenté aux gouvernants africains le 29 janvier. Mais ses conclusions sont préoccupantes. Si des progrès notables en matière de développement agricole et de sécurité alimentaire ont bien été réalisés en 2015 et 2016, « l’Afrique, globalement, n’est pas en voie d’atteindre les engagements de Malabo ». Sur les 47 pays membres de l’UA (sur un total de 55) qui ont fourni les données nécessaires au calcul des 43 indicateurs de performance élaborés par les experts, 20 seulement pourraient concrétiser les objectifs fixés en 2025. Le Rwanda vient en tête, devant le Mali et le Maroc. Au niveau sous-régional, l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe semblent en mesure de respecter leurs engagements, tandis que l’Afrique centrale, l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest marquent le pas.

Les indicateurs révèlent plusieurs points faibles. En 2016, seuls 10 Etats membres ont alloué à l’agriculture au moins 10 % de leurs dépenses publiques, comme ils l’avaient promis ; 12 ont financé la recherche agricole à hauteur d’au moins 1 % de la valeur du PIB agricole ; 18 ont vu leur PIB agricole croître d’au moins 6 % par an. Enfin, 9 pays ont lutté avec succès contre la faim et pourraient enregistrer, en 2025, un taux de sous-alimentation inférieur à 5 %, comme c’est déjà le cas en Egypte, au Ghana, au Mali, en Mauritanie, au Maroc et au Niger. Face aux énormes défis que doit relever l’agriculture africaine, dans un contexte d’explosion démographique et de changement climatique, les gouvernements doivent encore accroître leurs efforts pour que la Déclaration de Malabo ne reste pas lettre morte.